Une balade à Lille Sud
Autour de nous, des routes et des barrières de tôle taguées. A l’horizon, des grues. Sous nos pieds, une friche de laquelle surgira bientôt un magasin Décathlon. La première image de Lille Sud est celle d’un quartier agité, celle d’un quartier en devenir, en mouvement. Un quartier qui change, se détruit, se reconstruit. Texte de Charlotte Belaich et photos d’Aliénor Carrière.
Coupé du centre de Lille par le périphérique, le métro aérien et une ligne de chemin de fer, Lille Sud est comme une ville dans la ville. 23 000 personnes vivent sur cette étendue de 300 hectares. Sur sa moitié ouest s’étend le plus grand campus hospitalier et universitaire d’Europe. Chaque jour, des milliers de travailleurs, d’étudiants et de patients se croisent sur le chemin des hôpitaux, des facultés de médecine ou encore d’Eurasanté, un parc d’activité dédié à la santé et aux biotechnologies.
A l’est, la partie résidentielle de la ville, construite autour d’un des plus grand cimetière d’Europe, est entourée par deux rues commerçantes, le Faubourg des Postes à gauche, le Faubourg d’Arras à droite.
C’est la première rue que nous empruntons, et la deuxième image de Lille Sud qui nous apparaît. De part et d’autre de la route, au dessus des boulangeries, des pharmacies ou des kebab halal, se dressent de vieux bâtiments en briques rouges qui côtoient des façades modernes aux fenêtres carrées. A chaque époque son mode d’urbanisation. L’architecture de Lille Sud offre un panorama de ces évolutions.
Tours et barres d’immeubles sortent de terre
Tout commence avec la construction d’un cimetière en 1863, après l’agrandissement de Lille vers le Sud. Pour loger les ouvriers venus travailler dans les usines qui s’installent dans le quartier, une première vague d’urbanisation est lancée. Maisons individuelles, cités ouvrières et courées poussent dans les rues jusqu’aux années 50, quand l’habitat collectif fait son apparition pour répondre au manque de logement. A Lille Sud comme dans toute la France, il s’agit de construire à grande échelle et à moindre coût. Peu à peu, tours et barres d’immeubles commencent à sortir de terre. Très vite, ces groupes disparates de grands ensembles suscitent des critiques. Les logements se dégradent aussi rapidement qu’ils ont été construit, et les populations les plus aisées commencent à fuir le quartier. Restent seulement les plus précaires.
Aujourd’hui, Lille Sud est encore ce qu’on appelle un «quartier populaire », classé Zone Urbaine Sensible. Le revenu médian par personne s’établit à 620 euros contre 1 430 sur l’ensemble de la métropole lilloise.
En 2003, un « Grand Projet Urbain » est lancé pour réhabiliter Lille Sud. Le but : désenclaver le quartier et parier sur des petits logements collectifs ou individuels en s’inspirant de l’architecture antérieure à la construction des grands ensembles.
Dans les rues de Lille Sud, cette volonté s’inscrit dans le paysage. On « résidentialise » en installant des grilles autour des immeubles, on « réhabilite » en construisant des routes, des aires de jeux pour enfants ou encore des terrains de foot et parfois, on détruit pour reconstruire.
« L’image de Lille Sud reste celle d’un sale quartier »
La démolition du quartier des Biscottes est emblématique des nouvelles politiques d’urbanisme de la ville. Ses anciennes barres d’immeubles ont été rasées pour laisser place à de nouvelles constructions, à échelle réduite. Dans les espaces verts qui bordent les routes fraichement goudronnées, des tuteurs soutiennent encore les arbres plantés il y a peu, rappelant que les premiers résidents ne sont arrivés qu’en septembre. Au fond pourtant, pour Jean-Luc Grigny, habitant de Lille Sud depuis dix-sept ans et employé au centre social Lazare Garreau, peu de choses ont changé :
« On peut faire ce qu’on veut mais l’image de Lille Sud reste celle d’un sale quartier. Ici c’est un quartier populaire, il n’y a rien à faire, ça ne changera pas. Les habitants restent coincés de leur côté. »
Des nouveaux habitants, il y en a aussi un peu plus loin, dans une nouvelle résidence appelée le Carré Orchestra. Ici, une allée calme bordée de platanes, des façades modernes à moitié recouvertes de bois, des jardinets et des voitures neuves.
Mais le nouveau visage du quartier n’est pas encore uniforme. Juste derrière le Carré Orchestra se trouve les 400 maisons, un ensemble de cités jardins construit en 1934. Un véritable quartier dans le quartier. Là se trouvent les anciens de Lille Sud. Ceux qui affichent fièrement le nombre d’années passées dans le quartier. Ceux qui sont sa mémoire, connaissent son histoire et font son identité. Ceux là, souvent, regrettent l’ancien Lille Sud.
Janine Birique est née ici, il y a soixante quatorze ans. « La vie n’est plus pareille. Avant, c’était un petit paradis. Tout le monde se voyait, tout le monde se parlait. Quand on avait besoin, on était toujours aidés, pas financièrement, parce que personne n’avait plus que l’autre mais il y avait beaucoup de soutien, d’amitié. Il y avait un esprit de village. Aujourd’hui, les gens ne se connaissent pas, chacun vit dans son coin. » Ces histoires d’entraide, ces récits presque devenus légendes, les anciens de Lille Sud aiment les raconter, comme pour mieux s’en rappeler. On se souvient par exemple de ces quelques machines à laver qui passaient de logement en logement sur des chariots à roulettes dans les 400 maisons. « Aujourd’hui c’est chacun sa tondeuse à gazon, chacun sa perceuse » regrette Christian Dury, quatre vingt trois ans. « La vie sociale a beaucoup évoluée mais c’est partout pareil, ça s’individualise très très fort ». Partout pareil, ou presque. « A Lille Sud ça a résisté en partie. La vie sociale, familiale, les plaisirs plus simples ont été préservés du changement de la société vers l’individualisme et la surconsommation. Quelque part, l’isolement du quartier et la précarité permettent de faire tenir un lien entre les habitants ».
Devant un battle de hip hop, le silence des rues laisse place aux cris
Ces habitants, difficile de les croiser dans les rues désertées du quartier. Dans cette partie résidentielle de Lille Sud, on entend seulement le bruit des ballons que s’échangent de jeunes garçons dans les quelques terrains vagues qui n’ont pas encore été réhabilités.
Ce jour là, toute la vie du quartier semble être concentrée dans une salle polyvalente rue de l’Asie. A l’entrée, un groupe de jeunes garçons propose aux visiteurs d’entrer en leur souhaitant la bienvenue. Ils semblent ici chez eux. En pénétrant, on peut saisir quelques parcelles de l’identité de Lille Sud et en particulier sa jeunesse, une composante essentielle du quartier quand on sait que 40% de la population a moins de vingt ans. Dans la salle remplie, des adolescents mais aussi quelques parents venus avec leurs enfants pour assister à des battle de hip hop. Autour de la scène sur laquelle s’agitent des danseurs, le silence des rues a laissé place aux rires et aux cris. L’inquiétude qu’on peut soupçonner chez ses jeunes – à Lille Sud, 22% des demandeurs d’emploi ont moins de 26 ans et 63% des 20 – 24 n’ont pas le bac – a laissé place à la joie.
Des initiatives de la mairie peu adaptées
Pendant ce temps, le Grand Sud, un lieu culturel inauguré en 2013 et pouvant accueillir « des concerts, des spectacles et des ateliers organisés par les associations et les acteurs culturels » est vide. Oui, certains habitants considèrent que la mairie fait preuve de volonté pour réhabiliter le quartier, mais ils jugent que les projets qu’elle lance ne leur profitent pas toujours. « Les locations à mille euros la journée, pour les gens comme nous c’est pas possible » s’agace Jean-Luc Grigny lorsqu’on lui parle du Grand Sud.
« Ils font des programmes mais on n’est même pas au courant. Il n’y aucune concertation. En espaces de jeu par exemple, il n’y a rien pour les gamins. On a fait des demandes auprès du maire mais elles n’ont pas été prises en considération. Rien n’est vraiment fait pour nous. »
Dans la rue commerçante du Faubourg des Postes, la municipalité a mis en place une politique attractive pour inciter de jeunes créateurs à venir s’installer. Le problème : les produits proposés dans ces nouvelles boutiques sont trop chers pour les habitants du quartier. C’est ici aussi que se dessine le dernier grand chantier de Lille Sud : le Lillenium, un complexe de 56 000 mètres carrés comprenant un centre commercial, un hôtel, des restaurants ou encore des bureaux. A la mairie on parle fièrement d’un projet qui créera de l’emploi, mais dans les rues de Lille Sud, certains habitants affirment, amers, que le bâtiment colossal ne changera pas leur quotidien. « Si on a besoin de quelque chose, c’est de commerces de proximité, comme avant » juge Janine Birique. « Dans le temps le samedi après-midi, on se promenait en faisant les courses. Quand les magasins ont fermé, on n’avait plus d’endroits où se retrouver. »
En attendant l’inauguration du Lillenium, les jeunes de Lille Sud sont encore dans cette salle polyvalente trop étroite, comme chez eux.