Une jeunesse révoltée contre les « vendeurs de rêves »
À Lille Sud, le taux d’abstention atteint des sommets. Aux dernières élections départementales, la participation ne dépassait pas 36% (contre 26% aux européennes de 2009 et 31% aux cantonales de 2011). Les 18-25 ans sont les premiers concernés par ce fléau. Entre défiance, misère et système scolaire défaillant, enquête sur une jeunesse « oubliée » qui semble ne plus y croire.
Dimanche 29 mars 2015, jour d’élection à Lille Sud. Une épaisse couche nuageuse recouvre le ciel. Les rafales de vent n’en finissent plus. Mais les nombreux supporters présents cet après midi au stade du quartier semblent avoir renoncé au cocooning. Couverts de leur doudoune, capuche et bonnet sur la tête, les jeunes affrontent la rude météo pour supporter les footballeurs du FC Lille Sud. Le stade est animé mais les bureaux de vote, eux, sont quasi désertiques.
Ce dimanche vers 15h00 au bureau numéro 608, les permanents dressent les premiers constats « Je n’ai vu passer qu’une vingtaine de jeunes sur la journée. » constate l’un d ‘entre eux. A la sortie, Rachid 21 ans fait parti de ceux là. Une exception selon Faouzy Hanane présent sur les lieux depuis ce matin. « J’ai fait mon devoir de citoyen » affirme le jeune homme, « Je m’étais renseigné avant, j’avais un peu suivi alors j’y suis allé. » Pour ce jeune adulte, le vote est une chose importante « Ceux qui ne votent pas sont inconscients. Je le dis haut et fort, ce sont des cons ! » A ses côtés, Farid. Il l’a accompagné jusqu’aux urnes mais ne partage pas son avis « J’ai 17 ans. Je n’ai pas encore l’âge de voter mais je n’irai pas, ça ne sert à rien. Rien ne changera. »
« À droite ils mentent. À gauche ils ne disent pas la vérité »
Au stade, les klaxons des voitures retentissent. Lille Sud mène face à Sin-le-Noble. Malgré le froid, le terrain ne désemplit pas. Kamel et Billal sont venus supporter leur équipe. Adossés aux rambardes, un œil sur le match, les élections ne les intéressent pas : « non, nous n’avons pas voté.» Entre deux encouragements, ils avouent ne plus rien espérer des politiques : « Des promesses et des paroles en l’air voilà tout. C’est la jungle ici, il n’y a pas de boulot. C’est toujours la même merde. On n’y croit plus. » Pour ces jeunes, les élus n’ont plus aucune crédibilité. « A droite, ils mentent. A gauche, ils ne disent pas la vérité » conclue Kamel.
Quelques carrés de pelouse plus loin, la buvette du club est animée. Les allers et venus n’en finissent pas. Une dizaine d’enfants jouent à la console, encadrés par Zaineddine. Il sert les boissons chaudes et les pâtisseries préparées par les mamans du quartier. « Ici on se débrouille. Le budget est restreint alors on s’arrange avec les habitants. On manque de moyen.» Lui non plus ne s’est pas rendu aux urnes aujourd’hui. Les élections sont bien loin de ses préoccupations « Les élections ? Quelles élections ? Je ne vote pas. Les politiques c’est zéro.» confie l’un des supporters. La défiance reste le maître mot en cet après midi pluvieuse. Rien d’étonnant pour le président du club Mustafa El Idrissi, « Il n’y a pas de jeune qui ont voté ici. Ils sont bien trop déçus. Et ceux qui ne le sont pas encore le seront bientôt » affirme-t-il, « on leur a promis des choses, mais ils n’ont rien eu.» Au fil des discussions, les témoignages s’accumulent mais les conclusions sont les mêmes. Pas un seul ne s’est rendu aux urnes aujourd’hui. « Ils servent leurs intérêts personnels. Ils sont cupides.» affirme Aïssa, 27 ans, en formation pour devenir éducateur. « Il y a eu des changements, mais ils n’ont pas été faits dans notre intérêt. On veut du travail. On veut du concret, pas des belles aires de jeux. »
« Durant les rencontres avec les politiques, les jeunes viennent pour vider leur rage mais n’y croient plus. »
La rénovation du quartier menée au pas de charge n’aurait qu’accentué la défiance à l’égard des politiques. Dans les couloirs du centre social Lazarre Garreau, un véritable point de repère pour les jeunes habitants du quartier, les déceptions sont grandes à une semaine du deuxième tour « On vit mal. On passe pour des râleurs et des mécontents mais ces rénovations n’ont pas été faites pour nous. C’est du maquillage, un étouffe misère. On se demande s’ils ne veulent pas qu’on partent » affirme Salah Djebien, un habitant et animateur de Lille Sud. Ce quadragénaire n’est pas étonné par la forte abstention dans le quartier « Ces jeunes sont dans la misère et les politiques ne font rien de concret. C’est impossible pour eux d’y croire » conclue-t-il. Des débats, des discussions, il y en a eu. Mais elles n’ont jamais abouti à des réponses concrètes : « Durant les rencontres avec les politiques, les jeunes viennent pour vider leur rage mais n’y croient plus. » Le dialogue semble rompu.
« Ils voient la déception de leurs parents. Ils n’ont plus envie de voter »
A l’entrée du centre social, un groupe de filles discute. Elles sont trois. Yania, la vingtaine, avoue ne pas voter « Je voterai peut être pour les présidentielles, c’est plus important. Celles-ci ne servent à rien.» Farah et Yasmine ne partagent pas le choix de leur amie « Il y a des pays où les gens n’ont pas le droit de vote. C’est un comportement d’incapable. » La plus discrète, Farah, met en avant un autre aspect, la famille. « J’y suis allée parce que mon père m’a dit d’y aller.» Pour une partie d’entre elles, la cellule familiale intervient dans le choix. De manière négative parfois : « Ils voient la déception de leurs parents. Ils n’ont plus envie de voter » remarque Salah Djebien, administrateur du centre. A l’étage Khalid Felhahi fait l’aide aux devoirs aux adolescents. Ils tente de leur transmettre son devoir de citoyen, tant bien que mal : « J’essaie de leur en parler subtilement mais cela ne les intéresse pas. Ils n’ont plus d’espoir » constate-t-il. « Tu es au courant toi Sofia ? » demande l’animateur à une adolescente du quartier « Des élections de quoi ? On vote pour qui ? »
Au fond de la salle, un adolescent termine sagement ses devoirs. « Oui, je suis au courant des élections. Mais ce sujet n’est pas abordé à l’école. Jamais. »
« Les écoles ont peut être un rôle à jouer »
Rachid El Hamane animateur sportif, soutient le discours de Sofian. Il admet que les enseignants n’éduquent pas suffisamment les élèves. Mais il tient à les défendre « Les familles et les écoles ont un rôle à jouer mais c’est difficile pour eux. Ils travaillent dans des conditions difficiles et ne peuvent pas tout faire. Il faudrait un enseignement adapté. » Marouane, 20 ans, tire les mêmes conclusions « C’est une ZEP. Les conditions sont particulières. C’est trop compliqué de capter notre attention. On a d’autres soucis majeurs.» Il a voté aux élections, mais lui même n’y croit plus « On a peur de voter. Peur de faire le mauvais choix, encore une fois. »
Jacques Staniec, coordinateur du programme d’études intégrées à Science Po Lille visant à favoriser la réussite scolaire d’élève d’origine modeste, a un avis sur la question : « Ces jeunes sont victimes de l’institution scolaire. » Pour le professeur, les politiques aurait une part de responsabilité :
« Il y a une incapacité à tisser des liens. Dans ce contexte, la population reste en retrait et a le sentiment d’être abandonné. Il ne faut pas juste penser pour eux, mais aussi avec eux. Il faudrait leur redonner espoir dans l’éducation, les institutions et l’avenir. »
L’abstention des jeunes à Lille Sud semble être la conséquence d’un quotidien de plus en plus lourd à supporter. La révolte d’une population trop souvent oubliée. Pour les politiques, les « vendeurs de rêve » comme les surnomme Marouane, la tache se révèle difficile. Le constat est simple, selon ce jeune habitant: « Ici, la baguette magique, on n’y croit plus… »