La culture en un coup de dés
Pour ouvrir l’accès à la culture aux jeunes ado de Roubaix, il faut parfois faire un détour par le conte du Hobbit… et surtout beaucoup d’imagination. Au collège Jean Lebas, l’association la Taverne Oubliée a permis à une classe de 5ème de s’initier au jeu de rôle sur table, sous la houlette des professeurs de mathématiques et de Français. Une après-midi riche en stratégies.
« 13 ! Ca fait quoi Monsieur ? » Le dé noir vient de rouler sur la table de jeu, sous les regards impatients de Shaïness, Zarha et Mélynda, trois élèves de 12 ans du collège Jean Baptiste Lebas de Roubaix. Comme leurs camarades de classe, répartis en cinq groupes, elles participent à un atelier d’initiation au jeu de rôle sur table. Alca, un membre de l’association étudiante de jeux de rôle et de plateau la Taverne Oubliée leur explique les conséquences de leur score : « 13, donc c’est au dessus de la moyenne. Tu as réussi à tuer l’orc devant toi. »
Dans un jeu de rôle, chaque joueur incarne un personnage dans un monde imaginaire, qui peut reprendre des éléments historiques ou scientifiques réels pour y accomplir une mission. Cet après-midi, les trois collégiennes ont deux heures pour aider un village médiéval en proie aux attaques d’orcs, des créatures massives mais peu réfléchie, sous les ordres d’un puissant sorcier. Zarha, Shaïness et Mélynda incarnent une elfe, une magicienne et un petit gnome guerrier, puisés dans les personnages du Donjon de Naheulbeuk, une aventure adaptée en saga audio et en bande dessinée.
Le choix de leur personnage est inspiré par le dépliant derrière lequel Alca , le maître du jeu, cache ses propres dés et non par leurs connaissances de l’univers du jeu de rôle : ses règles et ses références à la fois à la littérature classique et à la fantasy sont à mille lieues de leurs pratiques culturelles.
Alca doit lui établir le scénario global de la partie, incarner les personnages non-joueurs – des villageois, des seigneurs de château – que vont rencontrer les trois filles et surtout leur opposer des ennemis et des obstacles à surmonter. La réussite ou l’échec de chaque action, comme une attaque ou une interaction sociale, dépend du score obtenu grâce au lancer de dé.
Peu concentrée sur le monde imaginaire, Mélynda parvient cependant faire combattre son personnage de manière frontale avec les ennemis proposés. Shaïness, plus timide, suit les propositions d’Alca pour sa magicienne maîtresse des éléments naturels. Zarha, elle, est plus impliquée dans l’élaboration d’une stratégie de groupe, carte à l’appui, et la compréhension de l’univers. C’est également elle qui pose le plus de questions sur des notions ou le vocabulaire fantastico-médiéval.
« On a beaucoup travaillé en amont sur le thème du héros, de l’Antiquité aux super-héros et aux héros de la fantasy, explique Audrey Verstaen, la professeure de français qui encadre l’atelier, cela leur permet d’avoir des bases sur le vocabulaire des armes et du monde médiéval. On a étudié des extraits du Seigneur des anneaux et on va commencer la lecture du Hobbit, de Tolkien. Pour les élèves c’est un vrai choc des cultures. Et pour moi aussi, c’est une initiation ! »
Cette découverte, organisée avec la professeur de mathématiques Valérie Bibal, entre dans le cadre des EPI (Enseignements pratiques interdisciplinaires). « À terme, ils vont devoir créer leur propre jeu, avec leurs règles, leurs cartes de personnages, pour pouvoir faire participer les autres élèves du collèges » poursuit Audrey. Avec Valérie, les élèves ont abordé le voyage autour de la Méditerranée et les grands scientifiques depuis l’Antiquité. Derrière elle, Kraël, un autre bénévole de la Taverne Oubliée, emmène justement trois autres collégiens, eux plutôt silencieux, à bord d’une aventure marine.
Pour les deux professeurs, l’atelier est un succès : « Leur attitude est très différente de celle qu’ils ont en classe, je les trouve très attentifs, sauf certains mais ils ont juste du mal à rentrer dans l’univers, constate Valérie. Les bénévoles ont su leur parler et les intéresser, car malgré leur calme apparent, si certains se braquent ou ne comprennent pas, ils peuvent exploser ou se montrer totalement indifférents. »
Autour d’Alca, malgré les distractions et les chamailleries, Zarha, Shaïness et Mélynda sont parvenues à vaincre ensemble le sorcier à la tête de l’armée d’orcs. Mais pour les trois collégiennes, l’aventure n’a pas éveillé une soudaine passion pour les mathématiques ou la littérature, ni pour la pratique du jeu de rôle. «Refaire des parties ? Ouais… si ça nous fait louper les cours. »